Damien Hirst VS Prune Nourry, un combat perdu d'avance ?...

quelle drôle d’idée d’opposer l’un des mastodontes les plus côtés de l’art contemporain à une jeune artiste française ! peut-être... je vais vous expliquer mon point de vue. et là, vous allez me dire, oui, mais c’est un point de vue, purement subjectif, et vous aurez raison.

d’autant que je ne suis pas une experte de l’art, et même si j’ai étudié quelques années à l’école du Louvre, je ne prétends pas l’être.

Je vais donc essayer de rester factuel, et vous laisser arbitrer ce combat plutôt inattendu.

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à ma droite,

  • NOM : DAMIEN HIRST
  • artiste anglais de 52 ans
  • UN THÈME RECURRENT : la mort / les vanités dont son fameux crâne incrusté de diamants.
  • EXPO DU MOMENT : Treasures from the wreck of the Unbelievable"  à la fondation Pinault à Venise jusqu’au 3 décembre
  • LE PITCH : un soi-disant trésor englouti lors du naufrage du « unbelievable » il y a 2000 ans et remonté lors d’une campagne de fouilles sous marines, sublimement filmée.
  • LES RÉFÉRENCES ARTISTIQUES : inspiration de civilisations passées mixées à des références pop, tel ce buste à la Nefertiti version Rihanna ou ces "idoles" féminines aux courbes exagérées, gravées au nom de... Mattel)
  • LA PIECE MONUMENTALE : un monstre de 18M de haut

à ma gauche,

  • NOM : PRUNE NOURRY
  • artiste française de 32 ans installée à NY
  • UN THÈME RÉCURRENT : la bioéthique et les dérives de la sélection du sexe à la naissance.
  • EXPO DU MOMENT : Holy, au musée guimet jusqu’au 18 septembre
  • LE PITCH un dialogue entre les oeuvres du musée et les oeuvres de l’artiste, notamment ses terracotta daughters, armée d'argile réellement enterrée dans un endroit secret en Chine, et qui sera déterrée en 2030 (je vous explique tout ça plus bas)
  • LES RÉFÉRENCES ARTISTIQUES : inspiration de civilisations asiatiques (puisqu'on est à Guimet), dont l'armée enterrée de l'empereur Qin, premier empereur chinois ; ou les Bouddhas afghans de Bamyian, détruits par les talibans en 2001.
  • LA PIECE MONUMENTALE : fragments d’un bouddha de 38M de haut disséminés dans tout le musée, soit la même hauteur que l'un des bouddhas de Bamyian.

Et là, vous avez vraiment un élément objectif de comparaison :

un monstre de 18m de haut face à un bouddha de 38m de haut !

ok, le bouddha est en morceaux, vous avez une empreinte de pied au sous-sol, les pieds et une jambe au RDC, et ainsi de suite jusqu'à la tête au dernier niveau. Donc forcément, ces fragments paraissent moins impressionnants que le colosse marin qui vous toise.

Mais non seulement le bouddha a une tête, contrairement au monstre, mais en plus on peut rentrer dedans, comme dans une grotte, et découvrir un univers mystérieux, référence au culte des morts en Chine. Le monstre quant à lui n'a pas de tête.

Alors convaincu ?

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j'espère ! mais vous trouvez peut-être ces arguments un peu faciles, trop terre à terre.

ce que je peux comprendre, et ce qui m'amène à l'autre comparaison que j'ai faite et qui cette fois est plus subjective.

Avant tout, je tiens à préciser que j'ai adoré les 2 expos, et si vous avez l'occasion, je vous invite à aller voir les deux.

mais il y a selon moi une différence de taille entre les deux.

Retournons voir Damien Hirst.

ex enfant terrible des young British awards ayant bouleversé les codes du marché de l’art en montant sa propre vente aux enchères (pour la modique somme de 137M euros) tout en court-circuitant ses galeristes.

Le milieu avait crié au scandale à l'époque, mais on comprend mieux aujourd’hui : il fallait bien financer un projet d’une telle envergure !

Cette expo a tout d'"unbelievable" :

  • une abondance d'oeuvres incroyables, faisant appel à d'incroyables techniques, matériaux, artisans.
  • une vraie majesté des oeuvres, esthétiques et séduisantes, parfois dérangeantes. j'ai vraiment été époustouflé par les couleurs des "coraux" recouvrant les sculptures.
  • de nombreux niveaux de lecture entre les références à l’histoire de l’art et à la culture pop. où chacun pourra déceler quelque chose, quelle que soit sa culture.     (à ce propos j'ai d'ailleurs assisté à un super dialogue entre 2 experts français qui détaillaient les différents styles d'un buste, sans reconnaitre Rihanna et son tatouage).

et une fois cet élogieux constat fait ?...

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pour les germanophones, je citerai un extrait du ruban blanc de Michael Haneke : UND ?

et pour les anglophones sans doute plus nombreux : SO WHAT ?

Il me manque très certainement des clés pour comprendre, mais après le waouh, et les images fortes imprimées sur la rétine (et sur les réseaux ?), que reste-t-il ? quel message ?

l'art ne doit-il pas aller plus loin ? (ça devient philosophique là, désolée)

Et c'est là qu'à mon sens Prune Nourry dépasse Damien Hirst, parce que :

  • ses oeuvres aussi impressionnent, en faisant appel à d'incroyables techniques,  matériaux, artisans.
  • ses oeuvres aussi sont séduisantes et esthétiques, parfois dérangeantes.
  • il y a également plusieurs niveaux de lecture dans ses oeuvres, avec de nombreuses références à l'histoire de l'art, où chacun pourra déceler quelque chose, quelle que soit sa culture.

Donc match nul pour le moment. mais je rajoute une ligne en plus pour Prune Nourry, totalement absente chez Damien Hirst (enfin selon moi, mais comme je vous le disais, je ne suis pas une experte)

  • une dimension humaniste, sociétale et engagée ! Beaucoup de ses oeuvres évoquent la bioéthique et soulèvent le problème de la sélection du sexe de l'enfant à la naissance, notamment à l'aide des nouvelles techniques de procréation. Interrogeant donc au delà sur la place de la femme dans la société.

Pour reprendre l'exemple des terracotta daughters, je vous explique un peu.

En reprenant les techniques de la fameuse armée enterrée de l'empereur Qin à Xi'an, elle a créé un bataillon de fillettes grandeur nature en terre cuite.

Ces fillettes reprennent les traits de 8 orphelines chinoises, mais chacune des 116 sculptures a des particularités propres, comme l'armée originale.

Et cette féminisation est là pour tirer la sonnette d'alarme sur un vrai problème latent : le déficit de femmes, dû à la préférence pour le garçon à la naissance, particulièrement en Chine et en Inde (Prune Nourry a créé une autre série sur le même thème en Inde).

Après quelques escales au 104 à Paris ou au Mexique, les terracotta daughters ont été enterrées dans un endroit secret en 2015, quelque part en Chine.

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Elles sortiront de terre en 2030, au moment où le déséquilibre hommes-femmes sera le plus fort selon les démographes.

Et là, si j'ai bien fait mon exposé (désolée pour le côté prof), je pense que vous me rejoindrez pour dire que Prune Nourry a quelque chose en plus !

ou si au contraire, vous pensez à un truc que j'ai zappé chez Hirst, dites le moi !

j'espère en tout cas vous avoir donné envie d'aller voir par vous même ces deux très belles expos (dépêchez vous, plus que quelques jours pour le musée guimet)

Et vous alors, quel est votre choix ?